Parole du Dharma

LES PARAMITAS

Lorsque nous recevons les préceptes dans la tradition Zen Soto, nous recevons les préceptes de bodhisattva. En Sanskrit bodhisattva signifie «  Etre d’éveil  », une personne qui fait vœu d’aider tous les êtres à traverser avant elle-même, de libérer tous les êtres de l’avidité, de la colère et de l’illusion.L’enseignement des Paramitas vient du bouddhisme Mahayana dont les écoles du zen font partie.

Le mot Sanskrit paramita est souvent traduit en français par perfection ou réalisation parfaite, et le caractère chinois (le kanji) signifie «traverser jusqu’à l’autre rive». Nous vivons sur cette rive-ci ou nous avons bien des difficultés. Cette pratique des paramitas nous aide à traverser vers l’autre rive, la rive de la libération, de la non-peur, de la paix.

Avant de faire ce vœu, nous sommes tiraillés par notre karma, en tant que bodhisattva il doit se produire un changement dans la manière dont nous vivons. Aider tous les êtres n’est pas un vœu réalisable évidemment, mais nous essayons de l’actualiser continuellement dans notre vie quotidienne. Nous pratiquons dans la boue que sont nos a priori et nos malentendus. Mais lorsque nous pratiquons avec et en même temps que tous les êtres, cette rive de Samsâra (dans ce sens les difficultés, la souffrance) devient Nirvana, la paix, la compréhension profonde.

Deux des phrases des vœux de bodhisattvas sont :
«Aussi innombrables que soient les êtres vivants, je fais vœu de les aider tous.»
et :
  «La Voie de Bouddha est incommensurable, je fais vœu de la réaliser.»

La Voie de Bouddha est la réalisation, l’éveil. Nous nous éveillons à la réalité que tout inter-est. Nous nous éveillons avec tous les êtres, tous ensemble, à la réalité que nous existons grâce à tous les autres êtres.

Les six paramitas sont :
Dana : le don, la générosité

Sila : les préceptes, la moralité
Ksanti : la patience, l’acceptation, embrasser
Virya : la diligence, l’énergie, l’effort, ce qui nous aide à continuer dans la direction juste
Dyana : zazen, la méditation
Prajna : la Sagesse, la compréhension transcendante, la vue profonde

Ces paramitas sont des soutiens, des inspirations pour la pratique de notre vie quotidienne, et non pas des règles fixes ni des commandements. Elles nous aident petit à petit à discerner profondément et à avancer sur le chemin de la libération de la souffrance, (dukka en Sanskrit) de ce sentiment de mal à l’aise, cette insatisfaction, ce manque de stabilité qui bien souvent nous oppresse. La pratique des paramitas nous aide à nous ouvrir à la vie, aux choses telles qu’elles sont, nous aide à voir l’interdépendance de toutes choses.

Prajna, la Sagesse, la compréhension, est incluse dans les autres paramitas. Et si nous ne percevons pas que la générosité, les préceptes, la patience, l’énergie et zazen non seulement comprennent Prajna, ce regard transcendant, mais sont Prajna- même, ces pratiques ne peuvent être appelées Paramita.

DANA

Au début de ma pratique, je cherchais un maître avec qui étudier (je vivais aux Etats-Unis à cette époque), je suis donc allée dans de nombreux centres zen pour en trouver un ou une. Dans l’un de ces centres, en Californie, un moine m’a montré la pratique de gyohatsu qui est la pratique de prendre les repas avec plusieurs bols1 qu’on enveloppe dans un tissu, comme un baluchon. A la fin du repas, au moment d’emballer de nouveau les bols dans l’étoffe, ce moine dit en en repliant l’un des côtés du tissu sur les bols : «nous donnons», et en rabattant l’autre bord vers lui, «et nous recevons». Cela m’a tout de suite interpellée bien que je n’en comprenne pas vraiment le sens.

Depuis je continue à en approfondir la signification dans ma vie et cela m’est toujours un enseignement d’une grande aide.

«Donner et recevoir» est Dana, le premier des Paramitas.

Dans le bouddhisme ancien, depuis l’époque du Bouddha Shakyamuni, les moines et les nonnes (bikhu et bikhuni en sanscrit) donnent l’enseignement du Dharma et les pratiquants laïcs leur offrent vêtements, nourriture et médicaments. Dans les pays de tradition Theravada tels que la Thaïlande, on peut voir de bonne heure le matin, dans les rues, les moines, portant en bandoulière leur grand bol, solliciter de la nourriture, et les laïcs y déposer des aliments.
Dans plusieurs traditions bouddhistes Japonaises dont le zen, takuhatsu2 -déambuler dans les rues en chantant le Sûtra du Cœur et en s’arrêtant devant chaque maison pour quémander- existe aussi. Mais de nos jours ce sont plutôt des pièces de monnaie que les prêtres reçoivent dans leur bol.

Cette tradition de takuhatsu n’est pas la seule manière de donner et de recevoir entre laïcs et religieux. Le prêtre bouddhiste Zen qui avait ouvert le petit zendo où j’ai rencontré le Dharma et commencé à pratiquer zazen, disait toujours : «Zazen et l’enseignement sont gratuits». C’est-à-dire que ce sont les dons de la part des religieux qui enseignent. Il en est de même dans le temple de mon Maître, Sanshin-ji, dans l’Indiana. Les retraites et les sesshin3 sont payants, mais Shohaku Okumura Roshi tient à ce que l’on puisse venir faire zazen et écouter les enseignements à tous moments gratuitement. Il en est de même dans mon temple. Et c’est la pratique des personnes qui viennent et reçoivent, de donner avec le cœur pour soutenir le lieu.

Dans notre vie quotidienne, que pouvons-nous donner afin d’aider les autres ?
• Les choses matérielles. Donner si quelqu’un a un besoin.
• L’enseignement du Dharma. Parfois une seule phrase du Dharma soulage.
• Des paroles attentionnées. Ouvrir son attention et son cœur.
• Notre vraie présence. Être présent, corps et esprit, solide.
• Notre liberté. Le bonheur existe si nous sommes libres de l’avidité, de la colère et de nos perceptions erronées.
• De la place. Laisser les autres être, ne pas essayer de les contrôler afin de combler nos propres besoins et d’obtenir ce que nous voulons.
• La compréhension. Comprendre qu’il existe de nombreuses manières de voir les choses. Sinon nous ne pouvons pas laisser les autres simplement «être», nous accorder avec autrui et avec tout ce qui nous entoure.
• Créer une vie en harmonie avec le Dharma, que nous vivions dans une Sangha4, seul ou en famille.


D’habitude nous donnons d’une manière égoïste, en nous attendant à recevoir quelque chose en échange. Ah ! l’expression «donnant-donnant» en dit beaucoup sur la manière courante de voir nos rapports avec autrui. Il nous arrive aussi de donner plutôt à une personne qu’à une autre selon nos affinités. Ceci s’appelle donner avec intention.
Il y a quelques années, j’étais dans un grand aéroport. J’avais trouvé un coin tranquille où j’étais seule et je lisais en attendant l’avion. Tout d’un coup je sentis la présence d’une personne qui arrivait. En levant la tête j’aperçus un moine de la tradition Theravada, portant la robe ocre, qui, lui aussi, avait trouvé un coin tranquille ! Sans hésiter je me levai et lui offris le biscuit que je venais d’acheter. Il leva le regard sur moi, l’air étonné, se pencha, mains jointes pour remercier, et, sans un mot, simplement l’accepta avant d’aller s’asseoir.

Dans la ville où j’habite, pour aller faire les courses, je passe devant un groupe de jeunes SDF assis à côté du cinéma. Ils fument et boivent de la bière, un bonnet posé devant eux, espérant recevoir quelques pièces. Mais il est bien rare que je leur donne de l’argent.
Et pourquoi pas ? Dans la tête, je critique, je préfère une manière de vivre à une autre, je choisis à qui donner. Pourtant, lorsque nous observons ces deux situations, il n’y a que des humains qui, comme nous, ont des besoins pour vivre.

DANA PARAMITA

Une autre manière de donner est Dana Paramita. En français, les mots donner, don, donation viennent de ce mot Dana en sanskrit. Un don, une donation ont conservé le sens de Dana, c’est-à-dire d’abandonner volontairement quelque chose à quelqu’un sans rien attendre en retour.
Ces bols dans lesquels nous mangeons, sont parfois appelés «bols de Bouddha».

«Maintenant nous ouvrons les bols de Bouddha, puissions-nous, avec tous les êtres,
réaliser la vacuité des trois roues, la personne qui donne, celle qui reçoit et le don» chantons- nous

lors des repas formels dans le zendo. Ici aussi «Bouddha» veut dire «éveil», c’est-à-dire que la pratique de gyohatsu nous aide à nous éveiller.
Lorsque nous réalisons combien de causes et de conditions sont réunies pour que ces aliments se trouvent dans nos bols ou dans notre assiette et combien de personnes ont travaillé sans savoir qui allait manger cette nourriture que nous recevons maintenant, nous commençons à percevoir la chance que nous avons. C’est alors que nous découvrons que nous recevons de partout et que cette nourriture n’est pas uniquement la nôtre, mais celle de tous.

La pratique de Dana veut dire que nous nous libérons de notre propre attachement, pour à la fois notre bien et celui de tout et de tous.
«Dana est une offrande faite et reçue sans envie» dit mon Maître, Shohaku Okumura, Roshi.

«Lorsque nous sommes vraiment libres des trois poisons, l’avidité, la colère et l’ignorance5, que ce soit donner ou recevoir, nos activités sont Dana.»


LA VACUITÉ

La vacuité est une notion qui, dans le bouddhisme, veut dire que tout est vide d’un soi indépendant, que tout dans le cosmos a une origine interdépendante, que chaque chose contient toutes les autres choses. Nous existons dans et grâce à chaque grain de poussière. «  La vacuité des trois roues» veut donc dire que la personne qui donne, celle qui reçoit et le don n’existent pas seuls.

Dans le Mahayana, la vacuité a deux faces : la première est la vacuité de l’ego, (ou d’un soi). Ce que nous pensons être un soi permanent n’existe pas. Ce qui contrôle notre corps et notre esprit, et que nous imaginons durer sans fin, que nous imaginons être «moi», n’existe pas.

Ceci est un enseignement qui nous vient de Shakyamuni Bouddha, le bouddha historique.
L’autre face est que tous les dharmas, (les choses) sont vides d’existence propre, sont vides d’un soi séparé, d’un soi indépendant.

Le Vénérable Thich Naht Hanh, fondateur et Maître du Village des Pruniers en Dordogne, l’explique d’une manière très pragmatique en nous montrant une feuille de papier et en expliquant qu’il n’y a rien qui s’appelle feuille de papier. Cette feuille de papier n’existe pas seule, elle est tout ce qu’elle contient : l’air, l’eau, le soleil, l’arbre dont elle provient, le bûcheron qui a coupé l’arbre, l’usine où elle a été fabriquée, nous qui nous en servons, etc. Mais bien sûr, en tant que phénomène, il existe quelque chose appelé feuille de papier et c’est bien pratique !

D’un point de vue nous ne sommes que cinq agrégats, (skandas en Sanskrit) : la forme, les sensations, la perception, les concepts et la conscience, mais d’un autre point de vue, nous sommes aussi des êtres humains. Ce ne sont pas deux choses qui forment un tout, mais une seule que nous pouvons voir de deux manières différentes.
Les mots «personne» et «personnalité» viennent de l’étrusque : per-sonae (pour le son) qui signifie masque. (Un masque pour augmenter la portée de la voix des acteurs de théâtre). Ce que nous pensons être notre personnalité est donc un

masque ? Il est intéressant qu’en français «personne» signifie à la fois quelqu’un et rien. Une personne n’est «rien» seule, mais contient tout.
Imaginons une porte-fenêtre coulissante. Nous pensons peut-être que les deux vantaux transparents de la porte sont deux choses séparées, mais si nous regardons bien, c’est aussi une seule porte. Parfois nous la percevons comme deux vantaux et parfois comme une seule porte. Lorsque les deux panneaux sont l’un devant l’autre, nous pouvons voir à travers les deux vitres à la fois et nous nous servons de la porte toute entière.

Lorsque nous comprenons que nous n’existons pas seul (comprendre, c’est à dire le prendre en soi, et non pas seulement avec l’intellect), nous commençons à être moins attachés à nos idées comme étant immuables. Nous nous créons moins de problèmes, et vivons plus en accord avec toutes les personnes que nous côtoyons.
Que nous donnions ou que nous recevions, le don lui-même est libre des trois poisons, l’avidité, la colère et l’illusion. Hélas, ce sont nous, les humains, qui ajoutons des idées que nous pensons être la ‘véritable’ et ‘seule’ manière de voir les choses.

«La vacuité des trois roues» veut donc dire que la personne qui donne, le don et la personne qui reçoit inter-sont».

PRAJNA

Dana n’est pas un Paramita s’il ne contient pas Prajna, la Sagesse qui voit la vacuité de tout.
Lorsque nous offrons, si nous sommes attachés au don, à la personne qui reçoit ou à celle qui donne, c’est donner mais ce n’est pas un don libre d’attachements, pas un Paramita.

Le Soutra du Cœur de la Grande Sagesse et le Soutra du Diamant font partie de la littérature Prajna Paramita (Perfection de la Sagesse). Dans l’un des chapîtres du Soutra du Diamant, Subhuti, l’un des disciples de Shakyamuni Bouddha, lui demande comment les Bodhisattvas devraient pratiquer.

Bouddha répond ainsi : «Lorsqu’un bodhisattva fait un don, il ne devrait être attaché à rien. Il ne devrait être attaché à aucune apparence, aucun son, aucune odeur, aucun goût, aucun toucher, aucun dharma.
Ainsi, Subhuti, les bodhisattvas intrépides devraient faire un don sans être attachés à la perception d’un objet, et pourquoi, Subhuti ? Le mérite de ces bodhisattvas qui font un don sans être attachés à quoique ce soit n’est pas facile à mesurer.»

Ici «mérite» n’est pas quelque chose de bénéfique pour nous seuls. Si un bodhisattva donne sans être attaché à ce qu’il perçoit, ce bodhisattva reçoit. Et, comme un écho sans fin que nous n’entendons pas, tout reçoit. Cela, en soi, est Prajna Paramita. Lorsque nous ne sommes pas attachés au don, à la personne à qui nous donnons ou à nous-même, nous sommes libérés des trois poisons. Le don est libéré et puisque tout est interdépendant, tout est libéré des trois poisons.

Ainsi Dana n’est pas Dana Paramita s’il ne contient pas Prajna qui voit la vacuité, l’interdépendance de toutes choses. Si nous nous agrippons à nos idées et ne pouvons nous en détacher, rien n’est libre.

Dana Paramita est la pratique de travailler avec tout ce que nous rencontrons dans la vie sans essayer de contrôler les autres, sans s’obstiner afin d’obtenir vaille que vaille ce que nous tenons absolument à nous procurer. C’est ne pas bloquer l’énergie naturelle, c’est laisser la Vie couler, fluide. Chacun et chacune d’entre nous fait partie de ce grand tout, alors pourquoi contrôler, se fermer puisque tout comprend tout? Puisque nous dépendons de tout?

Donner et recevoir vont toujours de pair, ils sont une seule et même chose. Lorsque nous donnons, nous recevons, bien que nous n’en soyons pas conscients. Nous recevons sans cesse. Comment pourrions-nous vivre sans air, sans eau, sans tout ce qui nous permet d’exister ?

Lorsque, dans le zendo, nous témoignons notre gratitude en nous inclinant de tout cœur, qui se prosterne ? Et où est la prosternation ? Qui donne et qui reçoit? Tout donne à travers nous, à travers notre action. La gratitude imprègne tout et se réverbère dans tout. Chaque action a un effet sur tout les dharmas.

Dans les Jakata6, une des histoire raconte comment un petit garçon qui jouait avec du sable, voyant le Bouddha passer, lui en offrit une poignée dans son bol à aumône. Simplement. Sans se dire que cela ne se faisait pas. Et le Bouddha l’accepta avec gratitude et s’en servit pour en faire un enduit pour le mur de sa chambre. Pouvons-nous être comme les jeunes enfants qui ont l’esprit et le cœur ouverts et qui donnent un caillou, un brin d’herbe, un sourire…
Plus nous pratiquons, plus nous comprenons combien nous recevons de nos maîtres et des ancêtres de notre tradition. Grâce à eux et à elles cette pratique nous parvient à travers le temps et l’espace, elle existe toujours et nous la recevons.


Ryokan, le moine japonais qui vivait d’aumônes, écrivait aussi des poèmes. Celui-ci s’appelle Rêves de papillon7 :

«Sans-esprit la fleur invite le papillon,
Sans-esprit le papillon rend visite à la fleur.
Lorsque la fleur s’ouvre, le papillon arrive,
Lorsque le papillon arrive, la fleur s’ouvre.
Je ne connais pas les autres,
Les autres ne me connaissent pas,
Sans nous connaître, naturellement nous suivons la Voie.»

La fleur et le papillon ne font que vivre leur vie de fleur et de papillon, sans rien en attendre. Ce ne sont pas la fleur et le papillon qui font quelque chose, mais simplement la Vie qui est.

Peut-être Ryokan décrit-il ici l’attitude naturelle des personnes qui mettent du riz dans son bol
pendant sa pratique de Takuhatsu dans les villages aux environs de son ermitage. Comme le libre don entre la fleur et le papillon, les personnes offrent naturellement, et le moine reçoit, libre d’esprit.

Nous ne connaissons pas l’effet de nos actions, la portée de notre vie. Il est dit que Ryokan n’a pas eu de disciples, mais à vrai dire, ses disciples sont les nombreuses personnes à travers le temps et l’espace que ses poèmes ont touché et qui embrassent sa pratique sans réserve. Quel Dana !

Donner sans réserve, sans-esprit, est Dana paramita, c’est être un avec la Sagesse qui perçoit la vacuité, l’interdépendance de toutes choses. Lorsque nous pratiquons, que nous vivons, que nous agissons en pleine conscience avec tout ce que nous rencontrons dans notre vie, cela même est Dana Paramita.

S’asseoir sur un coussin dans le zendo et laisser les pensées passer sans les agripper est notre pratique fondamentale. Mais cela ne suffit pas, pratiquer zazen n’est pas une fin en soi. Comment passer de zazen à l’action juste pour aider tous les êtres ? Comment être présent avec les membres de notre famille ? Avec nos amis ? Avec nos collègues de travail ? Comment être ouvert à chaque personne, chaque situation que nous rencontrons ? Voilà la pratique. Pas à pas nous continuons sur le chemin. Il n’y a pas de «mieux que» ou de «moins bien que». Nous sommes tous différents et c’est à chacune et à chacun de nous de trouver sa propre manière d’incarner, d’actualiser Dana dans la vie quotidienne, en faisant de notre mieux avec le corps et l’esprit que nous avons reçus.

                                                      Shoju Mahler


1. Ces bols, en particulier le premier, s’appellent oryoki. O est la réponse de la personne qui reçoit l’offrande, Ryo : une mesure, une quantité à recevoir. Ki: le bol.

2. Takuhatsu : Taku, surélever un objet posé sur la paume des deux mains. Hatsu: le bol, le crâne par sa forme. Le bol à aumône a une forme et un fond arrondis et rappelle la tête du Bouddha.

3. Sesshin : Ses (ou setsu) est généralement traduit par toucher. Shin : cœur/esprit.

4. Sangha : la communauté de pratiquants.

5. L’ignorance : l’un des trois poisons. Ne pas savoir que tout est interdépendant.

6. Jakata: datant du 4ème siècle avant J.C., ces histoires racontent les vies précédentes de Shakyamuni avant qu’il ne devienne Bouddha.

7. Rêves de papillon: (Butterfly dreams) Great Fool:Poems, letters and other writings. by Ryokan, Ryuichi Abbe and Peter Haskel, 1996.

LE FILET D’INDRA

L’une des métaphores dont se sert la philosophie Bouddhique est le Filet d’Indra. C’est un «filet» multidimensionnel. A chaque nœud formé par les fils il y a un joyau qui se reflète dans les autres. Chaque joyau contient la réflexion de tous les autres joyaux, sans fin. Les fils sont invisibles. Nous ne les voyons pas et nous ne comprenons donc pas que tout dans ce filet influe sur tout ce qui existe d’autre dans le cosmos.

Ce filet illustre le concept de la vacuité1, de l’inter-être, de la provenance interdépendante.

La version bouddhique de cette métaphore provient du Sûtra Avamtasaka (en français Sûtra de l’Ornement Fleuri), un sûtra Mahayana2 du 3e siècle.

L’interdépendance, c’est qu’il n’existe rien qui ne soit indépendant de quelque chose d’autre. De plusieurs autres choses. Et puisque toutes ces autres choses dépendent aussi d’autres choses, tout dépend de toutes les autres choses. Nous aussi. Rien dans l’univers n’existe seul. Tout est interdépendant de tout. Nous aussi.

La provenance interdépendante signifie  que chaque phénomène est une manifestation qui surgit grâce aux causes et aux conditions de chaque chose dans le temps et l’espace. Toutes choses à leurs tours s’associent à d’autres et produisent des effets sans nombre. Tout change continuellement et, donc, rien n’a d’existence permanente. Tout a des causes et des conditions, tout produit des effets. «Ceci est parce que cela est. Ceci apparaissant, cela apparaît.» En interrompant la chaîne des causes et des conditions, les évènements, les situations sont modifiés. «  Ceci n’est pas parce que cela n’est pas. Ceci cessant, cela cesse.»

Dans le Dhammapada3 chapitre XX la Voie, Shakyamuni, le Bouddha historique déclare :

«Toutes choses conditionnées sont impermanentes.
Lorsque l’on discerne ceci par la Sagesse,
on est las de l’insatisfaction,
ceci est le chemin de la pureté.»

Si parfois cette idée d’impermanence peut nous paraître effrayante, elle n’est pourtant pas négative.
Sans ce changement continuel, la vie ne serait pas possible, nous n’existerions pas.
Merci l’impermanence !

Dans la deuxième phrase de cette citation  :
La Sagesse est la vue transcendante, la compréhension profonde. La Sagesse, c’est saisir que tout est interdépendant, que tout vit grâce à ce filet d’Indra.
L’insatisfaction, aussi appelée souffrance, est ce sentiment de manque que nous éprouvons souvent.
Le chemin de la pureté est la voie de l’éveil. L’éveil, c’est vivre sans faire constamment de comparaisons, ce qui nous libère des contraintes mentales que nous nous imposons nous-même. L’éveil, c’est avoir l’esprit ouvert aux choses telles qu’elles sont, sans y ajouter nos idées préconçues, ce qui nous permet de vivre en harmonie avec tous les êtres, là où nous nous trouvons, à la fois les pieds sur terre et dans ce réseau incommensurable.

«La pensée précède toutes choses, elle les dirige, en est la cause.
Si une personne parle ou agit avec un esprit pur, (éveillé)
le bonheur l’accompagne comme son ombre qui jamais ne s’éloigne.»
                                         Dhammapada chapitre I, 2

                                                      Shoju Mahler


1 La vacuité dans le Bouddhisme n’est pas négatif.  Dans le  Mahayana cela veut dire que tout étant interdépendant, rien n’existe seul, tout est vide d’un soi indépendant.

2. Mahayana: Grand Véhicule, véhicule qui inclut tout. Branche du bouddhisme datant du 1er siècle, dont le Zen fait partie.

3. Dhammapada: une collection des dits du Bouddha, probablement réunis au 3e siècle avant J.C.